A la rencontre des tribus de l’état Kayah


Nous n’avions rien réservé et ne savions pas trop où aller après Nyaung Shwe. Nous aurions pu aller dans le sud du Myanmar voir des grottes et le fameux rocher d’or mais ayant déjà visité des grottes au Vietnam et au Laos, nous souhaitions découvrir autre chose. Ne pas avoir de guide nous a finalement bien aidé car nous avons écumé blogs et forums pour trouver notre prochaine destination : Loikaw. Cette petite ville est la capitale de l’état Kayah, le plus petit et le moins touristique état du Myanmar situé au sud de l’état Shan dans lequel nous séjournions pour l’instant.

L’état Kayah a récemment été ouvert au tourisme. Les conflits entre tribus, milices et le gouvernement militaire ont cessé. Un accord a même été passé entre certaines tribus et les militaires ce qui a permis d’ouvrir l’état au tourisme tant pour les étrangers que pour les nationaux qui ont moins peur de venir visiter la région. Pour autant l’intégralité de l’état n’est pas ouvert au tourisme. Il est toujours interdit d’aller dans certains endroits tandis qu’il faut un accord de la police locale pour d’autres.

Après avoir lu en ligne plusieurs récits dithyrambiques de voyageurs et constaté que la version anglaise du lonely planet 2018 ne mentionne que dans un petit encart les tribus de l’état Kayah, nous étions encore plus motivés !

Nous devons nous rendre à Shwenyaung pour prendre un van direction Loikaw. Le trajet en taxi nous coûte 8000 Kyat, soit 500 de moins que le prix de notre ticket de van alors que seulement 10 kilomètres séparent Nyaungshwe de Shwenyaung et qu’il y en a 175 jusqu’à Loikaw… Nous avons beau râler et aller voir notre amie Zi Zi pour obtenir un meilleur tarif, le prix annoncé est apparemment normal et non négociable…

Les 6 heures de trajet en van sont bruyantes. Une passagère a décidé de partager sa musique avec l’assemblée ce qui finit par porter sur les nerfs du chauffeur qui, à mi-chemin, allume ses enceintes et nous agresse avec de la pop asiatique. Tout n’est pas toujours rose mais nous avons la surprise d’être déposés non à la station de bus située à 5 kilomètres de la ville mais au pied de notre hôtel. On oublie vite que nos oreilles bourdonnent !

Nous sommes très bien accueillis à l’hôtel que nous avons repéré, mais pas réservé. Comme nous sommes en plein dans la saison des pluies nous arrivons à obtenir une bonne réduction sur le prix de la chambre, avec petit déj ! Nous nous installons, sortons visiter la ville et trouver un guide pour nous accompagner rencontrer les tribus de l’état.

Outre les Pa’O que nous avons déjà rencontré dans l’état Shan, il y a trois autres tribus dans l’état Kayah : la tribu Kayan (appelée aussi Padaung), la tribu Kayah et la tribu Lisu. Il est possible d’aller dans certaines de ces tribus par soi-même mais cela demande du temps et de l’organisation. Ayant décidé la veille pour le lendemain de visiter l’état et n’ayant malheureusement plus beaucoup de temps devant nous, nous avons donc décidé de faire appel à un guide.

Tous les gens que nous croisons semblent très étonnés de nous voir. On sourit à tout le monde et les yeux ronds se plissent et laissent place à de grands sourires.

On reste quelques temps dans une agence de bus où personne ne parle anglais et personne ne comprend vraiment ce que l’on veut mais tout le monde essaie de trouver une solution. On nous fait asseoir, on nous pose des questions en birman, on appelle des copains qui parlent peut-être anglais, on nous passe des gens au téléphone … Nous finissons par réussir à nous extirper du petit groupe qui s’est formé en remerciant mille fois l’assemblée inquiète de ne pas avoir su répondre à notre question initiale: “tourist guide kayan tribe ?”

En rentrant à notre hôtel nous passons devant un restaurant ouvert sur la rue où une jolie jeune femme s’affaire derrière des marmites posées sur une table. Il y a trois tables sur le trottoir, l’intérieur est petit, mal éclairé et vétuste mais un flot constant de scooter s’arrête pour prendre à manger à emporter. Il n’en faut pas plus pour nous décider ! Le restaurant propose 3 plats à 500 Kyat chacun, soit 30 centimes d’Euros … On a le choix entre une salade traditionnelle de tofu (délicieuse), une soupe de “Hot tofu” (délicieuse) et une soupe de nouille au poulet (…délicieuse). Nous venons de trouver notre QG !

De retour chez nous, nous réservons un guide par le biais de l’hôtel. Je suis moyennement convaincue car je discute avec lui au téléphone et il n’a pas l’air de parler très bien anglais, ni d’avoir une idée précise de ce que nous pouvons voir. Tant pis, rendez-vous est pris pour le surlendemain.

Le lendemain nous découvrons la pagode Taung Kwe perchée sur une colline et l’ancien palais royal Thiri Mingalarpon Kyaung qui est désormais un monastère. Nous y rencontrons d’ailleurs un vieux moine bienveillant et assez directif qui nous apprend être le dernier descendant de la famille royale de l’état. C’est lui qui demande une photo avec Louis-Alban et nous indique où nous positionner pour avoir le meilleur angle ! Nous nous baladons ensuite à vélo ce qui est très agréable et nous permet facilement de nous rendre à la cathédrale Christ the King un peu excentrée. C’est un immense édifice qui détonne. Nous y retournerons pour la messe dimanche à 8h car nous ne voulons pas manquer d’assister à un service dans la campagne profonde au Myanmar ! Au coucher du soleil, nous longeons un joli lac paisible au bord duquel des hommes pêchent et de jeunes couples s’enlacent puis nous allons dîner à notre QG.

Pendant notre balade nous sommes tombés sur une vraie agence de tourisme où nous avons rencontré un monsieur très sympathique et parlant très bien anglais (il a travaillé 7 ans dans un grand hôtel à Mandalay) qui a pris le temps de nous expliquer en détail ce qu’il proposait et qui semblait être très au point sur ce qu’il y avait à faire dans l’état. Nous ne nous posons pas trop de questions et décidons de faire notre visite du lendemain plutôt avec lui. En plus il est moins cher et le prix total (70$) inclut 20$ de CBT Program pour les deux villages que nous allons visiter.

Le CBT Program a été mis en place par le gouvernement du Myanmar en relation avec une ONG dans plusieurs endroits du pays. Ces 10$ de CBT Program par village comprennent une rémunération pour le guide du village qui traduit le langage de la tribu en birman (et notre guide traduit ensuite le birman en anglais), une rémunération pour les habitants des maisons dans lesquelles nous allons nous rendre et 10% versés au village pour divers projets (construction de routes/écoles). Il est possible de ne pas inclure cette somme mais le projet nous séduit et nous sommes plutôt contents de ne pas faire que du tourisme “voyeuriste” où nous n’apportons rien aux communautés que l’on rencontre.

Le seul point négatif de la journée fut notre première expérience du durian, cet énorme fruit malodorant… Nous avons repoussé le moment d’en goûter depuis notre arrivée en Asie mais ce jour là nous voyons un homme en décharger de sa camionnette et sautons sur l’occasion. Comme on ne se comprend pas, nous repartons avec un durian ENTIER coupé en morceaux… On a intérêt à aimer ça. Cerise sur le gâteau, ça coûte super cher. On se pose sur le rooftop de notre hôtel pour goûter et là c’est la déception suivie de la nausée. Ce fruit est dégoûtant. Pourtant on a peine croqué dedans… On décide de faire don des 5 kilos restant au gérant de notre hôtel qui, lorsque L-A lui raconte l’histoire, explose de rire ! Lui n’aime pas mais sa femme est apparemment une aficionado. Pendant que l’on boit des litres d’eau pour faire passer le goût, il nous fait monter de la mangue pour nous remercier. Le soir nous le retrouvons par hasard à notre QG et sans que nous nous en rendions compte, lui et sa femme nous offrent le dîner. C’est dire s’ils ont aimé notre “cadeau” ou plutôt s’ils sont désolés de notre mauvaise expérience !

Rendez-vous en terre Kayah

Le propriétaire de l’agence vient nous chercher à 8h à notre hôtel, c’est parti pour une heure de route destination le village de la tribu Kayah. Presque arrivés, nous nous arrêtons au bord d’une rizière où un groupe de personnes plantent… du riz.  Ce sont des habitants du village dans lequel nous nous rendons. Ils ne parlent pas birman, seulement le langage de leur tribu et le langage universel des gestes et du sourire. En nous approchant nous constatons que seules les femmes sèment les grains de riz. Je ne sais pas très bien ce que font les hommes si ce n’est qu’ils nous proposent de goûter à de l’alcool de millet dont ils ont une grosse jarre. Pourquoi pas, après tout il est 9 heures soit presque la fin de la matinée… Nous sommes surpris par le bon goût de ce breuvage qui nous réchauffe instantanément. Je suis d’ailleurs tellement réchauffée que je propose aux femmes de les aider. Ça n’est pas très compliqué, il suffit d’agiter des boites de conserve percées de petits trous et remplies de grains de riz au dessus de tranchées, certainement créées en amont par les hommes. Ma participation étonne et fait rire tout le monde. Des motards s’arrêtent même pour prendre la scène en photo ! Pendant ce temps, L-A rigole avec les hommes en continuant la dégustation d’alcool de millet. Je ne dois pas très bien faire le travail car une femme me suit de près et rajoute des graines dans mon sillage…

Nous arrivons ensuite au village où nous faisons la connaissance de la personne qui va nous servir d’interprète pour le langage tribal. Notre guide s’occupera de la traduction birman/anglais. Elle nous amène d’abord chez une dame dont la spécialité est l’alcool de riz que nous goûtons bien évidemment ! Ça passe très bien après celui de millet et comme il est bien 10h du matin, nous n’avons plus d’excuse !

Une fois que nous avons bien la tête qui tourne, nous nous rendons sur un terrain où sont disséminés d’immenses totems blancs qui servent à des célébrations. Il y a aussi un petit promontoire sur lequel on trouve des centaines d’os de poulet qui permettent de dire si la date choisie pour un mariage est bonne ou non. Nous apprenons énormément de choses sur les rites de cette communauté animiste. Lorsque les hommes partent à la chasse le village invoque les esprits pour que celle-ci soit prospère et à leur retour, les animaux sont partagés entre les habitants et l’on rassemble les os pour les offrir aux esprits. Nos guides nous amènent ensuite chez un vieux couple de musiciens où nous écoutons de la musique traditionnelle. La femme porte la tenue folklorique qui est très impressionnante. Ses genoux sont enserrés dans des centaines de bracelets en métal noir. Elle est très frêle mais elle dégage une force incroyable et ses dizaines de petits-enfants semblent lui obéir au doigt et à l’œil. Nous échangeons avec eux grâce à nos traducteurs. Bien sûr, on dit beaucoup de banalités : “les bracelets sont-ils lourds pour vos jambes ?”, “portez-vous cette tenue tous les jours ?” “quel métier faisiez-vous ?”, mais l’échange est quand même intense et on continue de discuter pendant un moment jusqu’à ce que notre hôte propose à Louis-Alban de tirer à l’arbalète !

Nous les quittons pour aller visiter l’un des sept lacs situés près du village. Ce ne fut pas le moment le plus intense de la journée, mais le paysage était joli et reposant.

Le deuxième endroit que nous visitons est un ensemble de 5 villages appelé Pan Pet. C’est là où habite la tribu Kayan au sein de laquelle on trouve les femmes girafes. Elles ont une histoire mouvementée car, pendant les affrontements entre milices et gouvernement, beaucoup de familles ont émigré en Thaïlande pour avoir de meilleures conditions de vie. Ces femmes se sont retrouvées parquées dans des villages où elles ont fait partie d’un business fondé sur leur apparence et leurs traditions et cela souvent dans des conditions misérables. Aujourd’hui, grâce au calme dans la région, beaucoup de familles reviennent. Elles ouvrent de petits magasins de souvenirs pour subsister mais ce n’est pas encore la majorité.

Dans le premier village que nous visitons, nous rencontrons notre nouvelle interprète et des hordes d’enfants débraillés à qui notre guide distribue des bonbons. Ils sont très timides quand c’est L-A ou moi qui les leur donnons ! Nous nous rendons ensuite dans petite maison pas loin où une dame nous accueille avec un large sourire. Elle porte le costume traditionnel et bien sûr les imposants anneaux dorés autour du cou et des genoux. Ses yeux pétillent, on dirait une petite fille enfermée dans le corps d’une vieille dame. Elle nous pose beaucoup de questions et nous échangeons pendant un long moment. Nous sommes très impressionnés et bizarrement nous sommes aussi très émus. Cette dame est pleine d’attention à notre égard et son sourire est désarmant. Un grand corps aux cheveux hirsutes sort de la maison. C’est son mari qui se réveille de la sieste. Il travaille encore dans les champs tôt le matin. Il est lui aussi très impressionnant de par sa taille et sa carrure mais a de petits yeux rieurs qui se réveillent au fur et à mesure de la conversation. Il propose à Louis-Alban de partager du Kun Ja. L-A hésite mais sa curiosité l’emporte et il finit par placer la chique dans sa bouche. La première mâchée est drôle à voir car cela a apparemment un goût très amer mais la suite est visiblement très bonne. Il en reprendra d’ailleurs plusieurs fois tout au long de la journée en demandant à chaque fois si ça ne va pas lui colorer les dents en rouge !

Nous allons ensuite dans un autre village où nous rencontrons une musicienne qui est la dernière femme de Pan Pet à savoir jouer de la musique avec la feuille d’une plante dont je ne me souviens plus le nom. Elle joue aussi d’autres instruments et L-A l’accompagne au violon pendant qu’elle siffle dans sa feuille. Étonnamment, le duo est très réussi ! Cette dame d’une cinquantaine d’années, veuve depuis quelques années et sans terre à cultiver, subvient au besoin de sa famille de 5 personnes seulement grâce aux souvenirs qu’elle vend ou aux concerts qu’il lui arrive de donner. Et elle passe son temps à rigoler ! Nous nous baladons ensuite seuls dans le village, rencontrons d’autres familles et finissons notre promenade en nous asseyant sous un préau pour écouter un groupe de musique improvisé. Toutes les personnes que l’on a rencontrées avaient envie de partager leur culture, leurs traditions et leur histoire avec nous.

Sur le chemin du retour, notre guide décide de nous offrir un plat de nouilles. Pour notre plus grand bonheur, il en profite pour continuer de nous raconter l’histoire de sa région. Il nous explique par exemple que la portion de voie ferrée entre les villes de Kalaw et Loikaw fut construite par les habitants de la région. Chacun construisait une partie des rails. Suite à la mise en service du train, pendant environ cinq ans, les habitants qui voulaient le prendre se mettaient en travers de la voie pour qu’il s’arrête et qu’ils puissent grimper… Après tout, ils avaient construit la voie ferrée, ils avaient bien le droit de prendre le train quand et comme ils le souhaitaient ! Le guide nous raconte qu’il aura fallu du temps pour faire comprendre aux gens l’intérêt des gares et de ne pas arrêter le train en pleine voie. Mais ce n’est pas la seule anecdote ferroviaire. Il semble que le conducteur s’arrête toujours là où il veut lorsqu’il a envie de prendre un thé ou de discuter avec des gens. Et personne ne sait lorsqu’il décide de repartir… Tout ceci semble expliquer la lenteur du trafic ferroviaire dans le pays.

Comme nous partons le lendemain après-midi et que le guide nous a conseillé de tester une spécialité locale pour le déjeuner du lendemain (de la saucisse de porc cuite à la vapeur dans des feuilles de bananiers), nous faisons un dernier arrêt à notre restaurant préféré pour goûter une dernière fois aux trois plats. C’est si peu cher et tellement bon que l’on ne va pas se priver !

Avant ce bon déjeuner nous assistons à la messe dans la cathédrale. Nous arrivons un peu en retard et entrons dans une église bondée où nous dépassons tout le monde d’au moins une tête. Les femmes ont toutes de légers voiles sur la tête. Ils sont soit blancs, noirs ou bleus et semblent avoir une signification particulière. La messe est magnifique. Nous ne comprenons rien aux textes mais les chants nous émeuvent au possible. L’assemblée tout entière entonne des refrains entraînants mais aussi très recueillis. C’est magnifique et les larmes nous montent aux yeux. La “paix du christ” nous surprend car tout le monde joint ses mains en signe de prière et s’incline légèrement devant son voisin en disant quelques mots. A la fin du service, les fidèles se rassemblent devant l’autel à Marie situé devant la cathédrale et entonnent un dernier chant avant de se séparer pour vaquer à leurs occupations dominicales.

Nous partons le cœur lourd, le séjour fut fort en émotion. Les propriétaires de l’hôtel nous ont chouchoutés jusqu’à la fin. Heureusement, alors que nous nous attendions à un bus de nuit tout ce qu’il y a de plus normal pour aller à Yangon, nous montons dans un bus VIP à trois sièges par rangée, écran, coussin et plaid ! C’est encore plus confortable que dans un avion !

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One response to “A la rencontre des tribus de l’état Kayah”

  1. Incroyable cette approche que vous avez des gens du pays
    Bravo bravo d oser aller au devant de ces personnes
    Et ces dames avec leurs colliers autour du cou elles semblent si fragiles et sont si fortes : leur retirer signifie la mort assurée

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